Quand je suis arrivée en France, il y a déjà 5 ans (désolée si je me
repète trop, mais...) l'unique chose qui me faisait tenir le coup de la
très difficile adaptation à cette culture et surtout de l'apprentissage
de la langue, c'était la merveilleuse collection de films disponibles,
toujours à l'affiche à Paris. Je me suis alors remise des limitations
imposées par l'hégémonie américaine dans les salles de cinéma au
Venezuela, mon pays d'origine.
J'allais au moins 4 fois par semaine au cinéma, pour voir autant de classiques que de nouveautés, autant de films européens que des films américains, que j'adore regarder toujours. Depuis l'année dernière, ma fréquentation a fortement diminué. Fatigue du cinéma ? Manque de temps ? Pas vraiment !
Ce qui m’éloigne des salles est le manque de bons films, en combinaison avec un plus grand respect de mon temps. Je ne supporte plus l'idée de regarder des films mauvais (comme auparavant) seulement avec l'envie d'apprendre de ce qui n’est pas bon. C'est fini mon école avec le cinéma, en tout cas, je me sens promue à un plus haut niveau, donc je mérite quelque chose de mieux que de la mauvaise foi ou d'un héros dans la famille.
C'était la veille de Noël, quand j'ai décidé faire un tour au cinéma, pour voir ce film avec des pingouins, qui cartonne aux Etats-Unis. Les pingouins sont à la mode après La marche de l'Empereur (2005), et si ce n'est pas une bonne raison pour suivre la vague, ce n'est pas pour autant une raison pour l'éviter, surtout quand les autres choix s'avèrent si peu attractifs.
Happy Feet (2006) n'est pas un film fait pour stimuler visuellement les enfants, ça n’a pas l’intention d’être un jouet d'éveil. Il est très loin des explosions de couleur des créations Disney ou plus récemment Pixar (Nemo, Cars, Monsters Inc.), et puis le contexte et les personnages, les pingouins empereurs et l'Antarctique, ne le permettent pas, puisque tout est noir/blanc/bleu. Mais en plus de l'austérité des éléments, il y a dans cette animation une volonté de reproduire la réalité, ce qui n'est jamais l'ambition de l'animation. Au contraire historiquement la technique s'est fortement appuyée sur l'animisme et la caricature pour créer des univers fictifs et fantastiques. Happy feet aussi essaie d'entretenir avec des éléments classiques de l'animation, comme les traits particuliers et les voix des pingouins protagonistes, qui servent à installer la trame principale du film, mais tout sans perdre les repères. Tout empereur a une chanson, et l'unique possibilité d'un manchot de cette espèce de s'accoupler, c'est de bien chanter pour trouver son âme sœur. Ce n’est pas par hasard l'un des principaux objectifs de la race humaine ? Métaphore ou transposition de la réalité, je ne sais pas, mais sans doute, on revient sur une problématique qui nous touche. Il s'agit de ce que Darwin a nommé la divergence adaptative, selon laquelle, si nous ne sommes pas aptes, alors on est exclu et nos chances de survivre se réduisent ou sont complètement inexistants. Sauf que dans le cas des animaux les difficultés d'adaptation paraissent liées à la nature même des espèces, alors que dans le cas des hommes (et des manchots humanisés dans ce film), ces difficultés sont la plupart du temps crées artificiellement et imposés socialement (l'un des cas le plus discutés en ce moment étant la maigreur extrême qui caractérise la « beauté » institutionnalisée).
Le problème du protagoniste de Happy Feet, c'est qu'au lieu d'être né avec le talent établi comme naturel d'un pingouin de chanter, il est né avec le talent (aussi naturel, mais pas soutenu culturellement, on le voit dans le film) de danser aux claquettes. Il est différent, donc pas de chance d'avoir une vie comme les autres, normale et réussie selon les codes du groupe.
Le sujet ne s'arrête pas là, Mumble, le pauvre pingouin incapable d'émettre un bon ton comme ses confrères, a tellement envie de faire partie de sa communauté en étant lui-même, donc en faisant des claquettes, que les plus anciens de la communauté, tellement effrayés de sa différence, finissent par lui octroyer la faute du manque de nourriture, qui risque de faire disparaître l’espece des Empereurs. Nous avons tous peur de tout ce qui est différent et étranger, aussi aujourd'hui. C'est pourquoi nous avons toujours envie de trouver une raison à nos problèmes dans ce qui nous est antipathique ou même méconnu. D'ailleurs on trouve dans cette tendance le fondement des problèmes interraciaux, très discutés actuellement en France à propos des prochaines élections.
Mais, en plus du commun traitement de la différence (une différence négative qui devient positive) comme l'unique possibilité d'existence du héros, notre grand protagoniste part dans un voyage, sûr de trouver la raison des malheurs de sa communauté ailleurs que dans ses pieds et ses pas de danse. C'est alors que Mumble trouve la cause du manque des poissons dans la région, lorsqu’il voit un grand bateau ramasser d'un seul coup une énorme quantité de poissons.
Le message écologique est clair. La pêche à grande échelle met en danger la survie d'autres espèces. Ennuyeux de le repeter ? On peut le savoir déjà, mais ce n’est pas mauvais de le rafraîchir. Pour moi, ce qui est le plus important, même si je ne mange pas des poissons et d'autres animaux (c'est quand même l'invité végétarien qui parle !), c'est qu'au moins la consommation des animaux devrait suivre un certain code éthique.
Il faut commencer par se poser quelques questions simples : A-t-on vraiment besoin d'autant de nourriture ? Peut-on manger toujours à sa faim sans tenir compte des déséquilibres que ça génère dans l'écosystème ? Le message n'est pas qu'il faut sauver les pingouins, qui sont si mignons. À mon sens, le message s'oriente à réveiller l'attention sur l'origine de ce qu'on mange, pas seulement avec un souci de se préserver individuellement et sa famille, mais aussi avec la certitude de que ce qui nous satisfait ne fait pas souffrir les autres. Alors continuez à manger ce que vous aimez, mais exigez au moins des fournisseurs un code de respect pour l’environnement. Il y a d’ailleurs un livre très important sur le sujet, mais très dur à lire, qui met la lumière sur les conditions de l’élevage, Se nourrir sans faire souffrir de John Robbins.
Pour ceux qui ne veulent pas regarder des films qui prétendent les éduquer, il n'y a pas que des messages de bonne volonté dans ce film. On passe aussi un moment plein de bonheur grâce aux personnalités des pingouins qui portent l'histoire, et aux chansons qui font partie du repertoire classique de la musique Pop. En plus, c'est un vrai musical, qui rend hommage aux classiques comme West Side Story, Strictly Ballroom, Moulin Rouge et Chantons sous la pluie, entre autres.
Commentaires